L'affiche signe et condition de la prospérité nationale

Une loi récente menace l’industrie de l’affiche ; l’ "Union de l’affiche française" la défendra

Chaque saison s’accompagne d’une floraison d’affiches neuves : expositions prochaines, station thermales ou touristiques, grands magasins ont recours aux producteurs d’affiches et leur commandent une imagerie bariolée, vivante, fascinatrice, susceptible d’attirer la clientèle et de la séduire..

Les hommes sont de grands enfants (heureusement pour eux !!) et ils aiment les belles images. Quiconque a su charmer leurs yeux est bien près d’avoir touché leur cœur et souvent aussi leur porte monnaie, quand ils ont l’un et l’autre.

Aussi, dans la vie moderne, l’affiche a-t-elle pris un rôle des plus importants. Du jour au lendemain, vous verrez la rue transformer sa toilette, les guenilles dont elle était vêtue (je veux dire les vieilles affiches) sont remplacées par des affiches inconnues, devant lesquelles ont s’arrête.

On se dit : « tiens ! La rue a changé », comme on le dirait d’une amie familière qui a modifié quelque chose à sa physionomie ; et si demain (rassurez-vous, cela ne se produira pas) il n’y avait plus d’affiches dans les rues des grandes villes, vous vous trouveriez soudain dépaysés chez vous. C’est que ces affiches contribuent au caractère du pays, font partie de l’atmosphère nationale, ont leur façon de se présenter avec des harmonies de couleurs et de linges qui leurs sont propres et que vous ne retrouveriez dans nul autre pays.

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De nos jours, les affiches sont si bien fondues dans l’aspect des villes que nous les regardons comme des connaissances sympathiques. Nous les interrogeons, nous leur demandons des renseignements ; elles nous instruisent, nous font part d’une découverte, d’un perfectionnement dont notre journal ne parlait pas. Elles sont un élément d’information de tout premier ordre, j’oserai même dire qu’au point de vue esthétique, elles sont un élément d’initiation.

Le public en regardant des affiches « art moderne » s’accoutume à un mode de vision qui était jusque là étranger ; il s’habitue à des formes qu’il ne soupçonnait pas et à des modes auxquelles il se fût montré récalcitrant si, grâce à l’affiche, elles ne lui étaient devenues rapidement plus familières, à l’évolution des styles, des goûts et à toutes les tendances nouvelles.

Que tout soit beau dans l’art moderne, nul ne le prétend, mais il sera aussi ridicule de prétendre le contraire et si nous somme portés à invoquer la supériorité des siècles passés, c’est que nous ne voyons guère plus aujourd’hui que le beau de ces siècles- là.

Le temps passe au crible, tandis que le présent jette tout pêle-mêle. Cependant, s’il est un art qui ait évolué dans un sens dont il y a lieu de se réjouir c’est incontestablement l’art de l’affiche. Ce fait est sans doute imputable à ce que les peintres contemporains ne dédaignent pas d’apporter, aux éditeurs d’affiches, le concours de leur originalité et de leur invention ; ils estiment, à juste titre, pouvoir s’exprimer par l’affiche, en même temps qu’ils traduisent leur compréhension de toutes les découvertes contemporaines ; ils estiment que toutes les écoles d’art peuvent trouver dans l’industrie de l’affiche une application sans cesse renouvelée. Loin d’être atteinte par cette concession à l’industrie, leur renommée ne pourra que s’accroître en touchant plus rapidement le public.

Pendant le guerre, nous avons vu un Forain, un Abel Faivre, un Maurice Neumont, un Willette, un Steinlen, un Poulbot et bien d’autres, créer pour l’emprunt des affiches dignes des œuvres qu’ils avaient exécutées pour le seul amour de l’art.

Ne goûte-t-on pas un plaisir esthétique à contempler une affiche de Hansi, de Hallo, de Cappiello, de Domergue, de Géo Dorival, de Broders, de Lacaze, de Roger Soubie ?...

Oserai-t-on dire que les ballets russes n’ont pas eu d’influence sur l’art de l’affiche ? et demain, sans doute, les manifestations si curieuses de Jean Cocteau en exerceront une aussi.

L’affiche constitue si bien un art qu’elle figurera à l’Exposition des Arts décoratifs de 1925, dans la classe des « Arts de la Rue ». Ce sera Gémier, grand metteur en scène de la ville moderne, qui se chargera de donner une âme à cette rue et de veiller à la plantation du décor.

 Faut-il maintenant insister longuement sur la fonction sociale et industrielle de l’affiche ? Il suffira de rappeler que l’affiche atteste l’activité économique de la France, qu’elle contribue à affirmer notre prestige et nos qualités de producteurs au-delà des frontières, que tous les gros fabricants la considèrent comme leur meilleur moyen de publicité et qu’elle est, en effet, celui qui se renouvelle le plus facilement, qui ne retarde jamais, qui résume et qui synthétise le travail et les efforts d’une région et d’une époque.

Elle emploie des milliers d’ouvriers qui sont, pour le plus grand nombre, des ouvriers d’élite en raison de toutes les qualités et de toutes les connaissances que l’exercice parfait de leur profession comporte :  habileté manuelle, précision, vivacité, attention, goût, intelligence.

Cette un émerveillement pour le profane de voir comment la feuille blanche, par les miracles de la machine, prend la couleur, la lumière, s’empare d’une forêt, d’une mer, d’un ciel, devient tout à coup cette forêt ou cette mer aussi vite que l’écran du cinéma, mais à tout jamais.

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Cette industrie pourtant se heurte à des difficultés (à qui les difficultés sont-elles épargnées en ce monde ?). C’est ainsi que l’Etat, dont cependant les intentions restent pures, a porté à son développement un coup assez sensible par la loi de finances du 22 mars 1924.

Cette loi prescrit des sectionnements d’affiches nouveaux (alors que les anciens sectionnements auxquels correspondent tous les formats de machines de pierres, de zincs étaient utilisés depuis le 13 Vendémiaire, an VI, date de la première loi qui s’était occupée d’eux). Pour mettre les formats d’affiches, calculés jusqu’alors sur les bases de 12 dm² ½ et de ses multiples, en accord avec les formats nouveaux calculés sur les bases de 15 dm², une transformation totale de l’outillage existant serait nécessaire.

Que faire devant une pareille loi ? En demander la révision. Mais comment en demander la révision avec quelques chances de succès ? En s’unissant. Les artistes s’occupants d’affiches et les industriels qui avaient à les imprimer, à les éditer, à les faire poser, fondèrent donc un groupement à quoi ils donnèrent le nom de « l’Union de l’Affiche Française » dans l’intention que ce groupement se mette en rapport avec les Pouvoirs publics pour arriver, en l’occurrence à une solution qui ne les paralysera pas dans l’exercice de leur profession, mais avec l’intention aussi de rester étroitement en relations pour examiner toutes les questions corporatives , industrielles, artistiques ou législatives qui se poseront par la suite et de devenir le grand organisme moderne dont chacun d’eux a besoin et qui est nécessaire pour assurer le progrès esthétique et commercial de l’affiche française et son développement en France comme à l’étranger.

Pourquoi reproche-t-on aux Français le manque de coordination ? A peine l’Union fondée, elle vit venir à elle tous les groupements existants. Pour constituer son bureau, elle choisit : MM. Lucien Serre, président du Groupe des Maîtres Imprimeurs de France, vit ce président de la corporation des techniciens de la Publicité ; Maurice Neumont, vice-président et secrétaire général de la Société des Dessinateurs Humoristique ; Gaudron vice-président de la Chambre syndicale de l’Affichage ; Georges Weil, éditeur d’art ; Damour, président de la Corporation des Techniciens de la Publicité ; Delattre, imprimeur ; Manteau, secrétaire de la Chambre Syndicale de l’Affichage ; Gype, dessinateur publicitaire ; Hachard, éditeur d’art et afficheur ; Laurent, président de la Chambre syndicale des arts lithographiques et typographiques.

Pour former son Comité d’honneur, elle désigna : MM. Forain, président de la Société des dessinateurs humoristiques ; Pichot, membre de la Chambre de Commerce ; Motti, président de la Fédération des Syndicats des Maîtres Imprimeurs de France ; Mallard, président de la Chambre Syndicale de la Publicité ; Darras, président de la Chambre Syndicale de l’Affichage.

Au moment que vient de se constituer ce groupement, il sera peut-être amusant de rappeler qu’il a…un ancêtre.

En effet, le monopole de l’affichage a été accordé aux libraires, en 1686, et un arrêt du 13 septembre 1922 établie la réglementation de la corporation des afficheurs en limitant leur nombre à 40 (même chiffre que pour l’Académie) et en leur imposant les obligations de savoir lire et écrire et d’avoir été reçus par le lieutenant de police et d’avoir déclaré leur nom et leur adresse au Syndicat de la Librairie.

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Pour terminer, disons quelques mots des vieilles affiches… Habent sua fata…

Si l’on ne fait point chez nous de cordes, de chaussettes ou même de pantalons en papier comme on en fit en Allemagne, pendant la guerre, on n’en utilise pas moins pour cela le vieux papier.

L’industrie moderne est une perpétuelle Jouvence pour les substances déjà employées et c’est pourquoi on peut lire dans Sciences et Voyages du mois dernier que l’on fabrique avec les anciennes affiches…des boutons de bottines. (Naturellement, il est nécessaire au préalable de réduire les affiche loqueteuses en pâte à papier, on traire cette pâte par des acides et on en fait du carton. Une machine tranche le carton en bandes, une seconde découpe des rondelles, une troisième fixe à chaque rondelle une tige formant le queue des boutons ; ces boutons sont transportés dans des étuves chauffées à 150°C où ils durcissent à souhaits. On n’a plus qu’a les faire sécher et à les vernir).

Ce n’est pas la seule utilisation possible des vieilles affiches. Dans le journal des Maîtres Imprimeurs du mois de décembre dernier, on pouvait lire que des « organismes microscopiques » vivants dans les déchets de Houblon, agissaient comme ferment sur la pâte à papier, ce qui permettrait de transformer celle-ci en alcool.

On frémit en pensant que les législateurs du prochain texte qui réglementera l’affiche et l’affichage auront peut-être à tenir compte des revendications des bouilleurs de crû.

Et que deviendra le fisc s’il se met à vouloir taxer les affiches « au degré » de l’alcool ?...

Mais, au fait, peut-être les découvertes nouvelles et les possibilités de plus en plus nombreuses de ces transformations que la science offre à l’industrie, aboutiront-elle à rendre nécessaire la représentation technique et professionnelle au Parlement qui apprendrait alors que le seul travail susceptible d’enrichir les finances de l’Etat et le travail que l’Etat ne paralyse pas.                                                                                                                                                                                                                    

Marcel Belvianes                                                               

                                                                                                                    Secrétaire administratif                                                        de l’Union de l’Affiche Française


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