Conte de Noël : recette pour faire des crêpes

 CONTE DE NOËL

 Recette pour faire des  Crêpes


A Monsieur  PAUL ADAM,  qui n’aime pas la Cuisine.


La réussite de cette pâtisserie dépend  de tant de circonstances, sa confection exige tant de soins, qu’il est rare d’en obtenir de parfaites. La recette que je donne ici est incomplète, mais telle qu’elle est, on peut en espérer un bon résultat.  Vous choisissez une belle nuit de Noël, et une douzaine d’œufs. Il faut que la nuit soit claire, pleine de lune ; il faut qu’il gèle à pierre fendre, et que les œufs soient frais.

 –- Eviter la petite pluie fine qui ne donne que des crêpes « pourries ». A défaut de gelée choisir une jolie neige.

A  l’avance , battez vos œufs avec deux livres  de  farine un peu de sel et un verre de Kirsch du Schwarzwald, en évitant que la farine fasse des grumeaux.

Travaillez la pâte et laissez- la  reposer.

Procurez-vous, d’autre part, une salle de ferme et un âtre ; une boite à horloge, l’image du Juif-Errant, un bahut, quelques sièges de bois et un tronc d’arbre. – Vous placez le tronc d’arbre dans l’âtre , et vous mettez le feu ; c’est la seule lumière , avec la lune, qui doit éclairer la pièce.(Ayez bien soin de faire passer sous les fenêtres une grand’ route,  ou un chemin creux .)

Quand la pleine lune qui donne sur votre terrine a fait prendre à la pâte une belle couleur, vous décrochez votre poêle  dont le manche ne doit pas avoir moins de deux mètres. Versez dans votre poêle gros comme une noix de beurre et une pleine  cuillerée de pâte.

Il importe, à ce moment, que tous les yeux brillent de la plus grande convoitise.

Le choix des invités n’est pas, dans cette circonstance, d’une mince importance.  Un marguillier, un bûcheron, un médecin de campagne, ou mieux un rebouteux, un facteur, une fileuse au rouet feront l’affaire.

Une sorcière --  si l’on peut s’en procurer – ajoutera un bouquet fort appréciable.

Mais la présence d’un tabellion peut tout compromettre.

Inclinez alors la pâte dans tous les sens ; lorsqu’elle devient consistante, remuez la crêpe pour la dégager, et faites-lui exécuter trois ou quatre sauts périlleux aux applaudissements de l’auditoire.

Il n’est pas mauvais que les invités fument la pipe, et que les fumées, habillées de lune, exécutent, autour des poutres, des danses javanaises. Il ne reste plus qu’à faire glisser la crêpe sur un plat. Saupoudrez-la de sucre, de joyeuses sornettes, d’un vieux Noël, et d’une chanson populaire. Et mangez-la bien chaude. 

Selon les régions,  appelez votre crêpe : couquebacque, aliette, ratons (Nord) ou tantimolle (Ardennes), ou mâtefaim (Pays de Bresse). Ces noms conviennent  mieux au caractère jovial de cette pâtisserie.

Note. — La crêpe est inconnue à Paris. On ne saurait accorder ce nom à un mélange d’eau et de suif que d’étranges industriels débitent en plein vent, les jours de fête, dans la boue ou la poussière de nos quartiers excentriques.

Celle-là justifie pleinement son nom de crêpe. Autant la crêpe véritable est  svelte, élégante et accorte, autant la crêpe parisienne est exsangue, funèbre et neurasthénique.

Aussi est-elle devenue le symbole officiel de la tristesse, et la mode veut qu’on la porte au chapeau, en signe de deuil.

                            Le garçon de recettes :

                                                                   GEORGES DELAW


 

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